1. C’est quoi la loi spirituelle ?

Ce syntagme de « loi spirituelle » ou de la loi qui est spirituelle, n’est pas étrange à notre esprit. Nous avons l’intuition qu’il est lié à la « vie spirituelle », à la « vie nouvelle » que le Christ nous l’a donnée, et qu’il est en quelque sort opposé à la loi ancienne, à la loi charnelle, à la loi matérielle même.

Mais dans le Nouveau Testament, cette expression, qui a fait plus tard carrière dans la pensée des Pères, apparaît une seule fois, je crois, dans l’Epître de saint Paul aux Romains, chapitre 7.

Dans ce passage, assez intrigant d’ailleurs, saint Paul parle d’une opposition et d’une lutte même entre la chair et l’esprit (image largement reprise plus tard par les Pères et par l’hymnographie de l’Eglise), d’une lutte entre la loi qui est spirituelle et la loi du péché qui agissent dans l’homme.

Voila un fragment de ce passage de l’épître aux Romains :

7:14 Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu au péché.
7:15 Car je ne sais pas ce que je fais: je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais.
7:16 Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne.
7:17 Et maintenant ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi.
7:18 Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair: j`ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien.
7:19 Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
7:20 Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c`est le péché qui habite en moi.
7:21 Je trouve donc en moi cette loi: quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi.
7:22 Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l`homme intérieur;
7:23 mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres.
7:24 Misérable que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort?...
7:25 Grâces soient rendues à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur!... Ainsi donc, moi-même, je suis par l`entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché.

Mais là je veux préciser tout de suite que les Pères de l’Eglise ont entendu ce passage non pas pour les baptisés, mais pour les juifs incrédules et non baptisés. Voilà ce qui dit saint Marc le Moine dans son dialogue sur le baptême :

« Ceux qui les comprennent mal et se trouvent dans l’erreur [de considérer que le péché pousse en nous après le baptême malgré nous, n.n.] gauchissent ainsi le reste des Ecritures. Reprends ce chapitre plus haut et tu découvriras que saint Paul ne parle pas de sa situation après le baptême, mais qu’il tient le rôle des Juifs incrédules et non baptisés, pour les persuader que, sans la grâce du Christ donnée au baptême, il est impossible de vaincre le péché. Il dit : ‘Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ?’ ; et il ajoute : ‘Je rends grâce à Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ’ (Rom. 7, 24), parce que ‘la loi este spirituelle, et moi je suis charnel, vendu au péché’ (Rom 7, 14) » (Marc le Moine, Le baptême, 993 A, dans : Marc le Moine, Traités spirituels et théologiques (= Spiritualité orientale, 41), Bellefontaine, 1985, p. 97).

Nous voyons donc déjà que cette « loi spirituelle » est directement liée au baptême. Et effectivement saint Paul lui-même, quelques versets plus loin dit : « En effet, la loi de l’esprit de vie en Jésus Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort. » (Rom 8, 2).

Et avec cela nous y sommes : la loi spirituelle est précisément cette « loi de l’esprit de vie en Jésus Christ », c'est-à-dire la loi du Christ gravée sur le cœur par l’Esprit (Marc le Moine, Le baptême, 993 B, p. 97) au baptême, ou la grâce du Saint-Esprit à l’œuvre dans le cœur du baptisé (Marc le Moine, De ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres, 137. Dans : Marc le Moine, Traités spirituels et théologiques (= Spiritualité orientale, 41), Bellefontaine, 1985, p. 56).

Or, la loi spirituelle est tout simplement la loi du Christ, dont la quintessence est ce qu’Il a dit dans l’évangile selon saint Jean :

13:34 Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.

13:35 A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres.


2. La loi spirituelle : premiers développements

Mais, maintenant, appliquer cette loi spirituelle tout court « de l’amour » dans la vie quotidienne demande un certain nombre de précisions et d’explications, et le recours aux nuances et finesses de l’esprit, qu’on ne les trouvent pas dans les Evangiles, tout simplement à cause du fait que les Evangiles veulent surtout faire passer le message de la « bonne nouvelle » (Jean écrit dans son évangile : « Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu`en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jean 20, 31)), et moins de guider les fidèles dans leur combat intérieur.

Le seul endroit des Evangiles qui est effectivement un enseignement direct et explicite en lui-même sur la loi spirituelle, c’est peut-être le 5e chapitre de l’évangile selon saint Matthieu, où, après avoir énoncé les béatitudes, le Seigneur lance un nombre de six perfectionnements (Qui se retrouvent en partie chez saint Luc, chapitre 6) de l’ancienne loi, perfectionnements qui l’a métamorphose complètement.

Tous ces perfectionnement ont la même structure, à savoir qu’ils commencent par l’énonce d’un précepte de l’ancienne loi – « Vous avez appris qu`il a été dit » – et continuent par une correction ou transfiguration, si vous voulez, par un adversatif : « Mais moi, je vous dis » etc.

Je vais prendre deux de ces perfectionnements pour vous montrer leurs développement ultérieur dans la pensé de l’Eglise.

Le 5e perfectionnement : renoncer à son droit

Matthieu 5, 38-42 :

5:38 Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent.
5:39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre.
5:40 Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
5:41 Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui.
5:42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.

Et maintenant tournons-nous vers les Pères pour le développement de cette loi spirituelle. Prenons un seul exemple, des Pères du désert, plus précisément de saint Antoine le Grand :

Des frères vinrent chez l’abbé Antoine et lui dirent : « Donne-nous une parole qui nous dise comment nous sauver ? » Le vieillard leur dit : « Vous connaissez l’Ecriture. Il en va bien pour vous ». Mais ils dirent : « De toi aussi nous voulons l’entendre, Père. » Le vieillard leur dit : « L’Evangile dit : Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. » (Mt. 5, 39). Ils lui dirent : « Nous ne pouvons faire cela. » Le vieillard leur dit : « Si vous ne pouvez pas tendre l’autre, au moins supportez que l’une soit frappée. » Ils lui dirent : « Nous ne pouvons même pas cela. » « Si vous ne pouvez même pas cela, reprit le vieillard, ne rendez pas le mal que vous avez reçu. » Ils lui dirent encore : « Cela non plus, nous ne le pouvons. » Le vieillard dit alors à son disciple : « Fais-leur une petite bouillie, car ils sont malades. » Puis il dit aux frères : « Si vous ne pouvez ceci ni ne voulez pas même cela, qui ferai-je pour vous ? Il faut des prières. » (Antoine 19, dans : Les sentences des Pères du désert. Collection alphabétique, Solesmes, 1981, p. 17-18)

Ces frères ont été sans doute un peu provocateurs, et saint Antoine à sont tour plein d’humour, mais nous voyons ici développement en plusieurs degrés de ce précepte, de cette loi spirituelle que le Seigneur a lancé : « Si quelqu’un te frappe la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt. 5, 39).

Le 6e perfectionnement : aimer ses ennemis

Prenons un dernier exemple, à partir du 6e perfectionnement, qui est celui d’aimer ses ennemis (Mt. 5, 43-48). Le voila :

5:43 Vous avez appris qu`il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi.
5:44 Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,
5:45 afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.
5:46 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n`agissent-ils pas de même?
5:47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d`extraordinaire? Les païens aussi n`agissent-ils pas de même?
5:48 Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

Voyons maintenant un développement nouveau-testamentaire de saint Paul. Voila ce qu’il dit aussi dans l’épître aux Romains, chapitre 12 :

12:20 Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s`il a soif, donne-lui à boire; car en agissant ainsi, ce sont des charbons ardents que tu amasseras sur sa tête.
12:21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien.

Il me semble que cette sentence de saint Paul est très-très forte.

« En agissant ainsi, ce sont des charbons ardents que tu amasseras sur sa tête. »

Dieu est amour, et bonté, et beauté, et lumière. Et on se demande des fois : Comment est-ce possible que l’enfer existe, et que des gens soient brûlés dans les feux de l’enfer ? Et les Pères nous disent que l’enfer n’existe pas en tant que lieu, mais qu’il est surtout un état d’esprit de celui qui ne supporte pas le bien, la lumière, la bonté, la beauté, l’amour. Pour l’un l’amour lui fait du bien, pour un autre le même amour le brûle ! Et on voit ça dans notre propre vie, de tous les jours : des fois on ne supporte pas un reproche, même s’il est fait à juste titre et avec amour.

C’est dans ce sens là qu’il nous faut entendre ce mot fort et profond de saint Paul : On ne se laissant pas vaincre par le mal (c'est-à-dire ne par rendre le mal pour le mal et entrer dans la logique et le moulin du mal), alors on amassera de l’amour et de la beauté et de la bonté et de la lumière sur la tête de celui qui nous a fait le mal. Plus ou moins, cet amour va le brûler comme des charbons ardents, mais cela n’est pas une punition, mais une voie de purification, que chacun de nous l’expérimente, plus ou moins, dans sa propre vie.


3. La loi spirituelle chez saint Marc le Moine

Bien évidement, tous nos Pères ont développé la loi spirituelle, par leur vie et leur expérience dans le Saint Esprit, mais je veux vous ouvrir l’appétit pour un d’entre eux, saint Marc le Moine, dont nous avons fêté la mémoire il y a une semaine, le 5 mars.

Saint Marc le Moine, ou Marc l’Ermite, ou encore Marc l’Ascète, est un des grands spirituels orthodoxes du Ve ou VIe siècle, duquel les milieux monastiques byzantins du Xe au XIVe siècle nous ont laissé en héritage une exhortation, un dicton qui dit : « Vendez tout et achetez Marc » !

Marc le Moine a écrit un nombre d’œuvres dont quatre ont été reprises dans la Philocalie de saint Nicodème l’Agiorite : La loi spirituelle, De ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres, Le baptême et Lettre à Nicolas. Vous pouvez les trouver en français soit dans la Philocalie, soit dans le n° 41 de la collection « Spiritualité orientale » de l’Abbaye de Bellefontaine, soit dans le nos 445 et 455 de la collection « Sources chrétiennes ».

Je présenterai quelques traites de la spiritualité de Marc le Moine, fondamentales pour l’esprit de vie en Jésus Christ, c'est-à-dire pour la pratique de la loi spirituelle dans la vie quotidienne.

Le fondement de la vie spirituelle

Pour saint Marc le Moine le fondement de la vie nouvelle, de la vie spirituelle, c’est le baptême, dans un sens très concret. Le baptême opère quelque chose de très réel en nous : par le baptême le Christ lui-même s’installe dans le plus profond de notre cœur (Diadoque de Photicée aussi développe cette idée : Cent chapitres, 77), comme Roi, et jette en dehors « tout esprit mauvais et impur qui s’y cache » (Aussi Diadoque : Cent chapitres, 76), pour que l’homme « ne soit plus en enfant de la chair, mais en héritier du Royaume », d’après les expressions qu’on les utilise jusqu’aujourd’hui dans le rituel du baptême.

Marc use de l’image du Temple pour parler de l’homme. Il dit :

Le Temple est l’enceinte sacrée, crée par Dieu, du corps et de l’âme ; l’autel qui est dans le Temple, c’est le siège de l’espérance, sur lequel la pensée première-née de tout événement, offerte par l’intellect comme un animal premier-né, est immolée en sacrifice propitiatoire pour celui qui l’offre, si toutefois il la présente sans tache.

Ce Temple possède aussi une partie plus intérieure, derrière  le voile, où le Christ, le premier, est entré pour nous, et où il demeure en nous, selon ce que dit l’apôtre : « Ne savez-vous pas que le Christ habite en vous, si toutefois vous n’êtes pas réprouves ? » (II Cor. 13, 5). Cette partie est précisément l’espace le plus intérieur, caché et pur du cœur, et s’il ne s’ouvre pas sous l’action de Dieu et de l’espérance universelle de l’âme et de l’esprit, il est impossible de connaître avec certitude celui qui y habite, ni de savoir si nos sacrifices spirituels sont agrées ou non. […] (Marc le Moine, Le baptême, 996 B-C, p. 99)

Il n’est pas nécessaire maintenant de retenir tous les détails de cette image de l’homme comme Temple, mais surtout l’essentiel, à savoir que par le baptême le Christ s’est réellement installé dans le plus profond de notre cœur. Là, Il frappe à la porte du cœur par la grâce et attends qu’on lui ouvre, d’après l’image de l’Apocalypse :

3:20 Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j`entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi.
3:21 Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j`ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône.
3:22 Que celui qui a des oreilles entende ce que l`Esprit dit aux Églises!

La loi spirituelle, les commandements, la vertu

Si on commence à œuvrer avec cette grâce du baptême par la pratique des commandements, alors on entre dans la logique de la loi spirituelle, qui n’est pas la logique charnelle, ni celle de ce monde, mais qui peut même s’oppose de fois aux lois extérieures. En fait, on accompli la loi spirituelle non pas parce qu’elle et logique – l’amour n’est pas logique –, mais tout d’abord parce que la foi, ce quelque chose intérieur et mystérieux, nous pousse à le faire. Puis, une fois qu’on a appliqué le commandement, on le fait parce qu’on a goûté la paix qui y suive :

Le Seigneur se tient caché dans ses propres commandements et on Le trouve dans la mesure on Le cherche.
Ne dis pas : « J’ai pratiqué les commandements et je n’ai pas trouvé le Seigneur ! » Tu as souvent trouvé la connaissance avec la justice et ceux qui le cherchent avec droiture trouverons la paix.
La paix, c’est la délivrance des passions. On ne la trouve pas en dehors de l’action du Saint-Esprit, selon ce que dit le saint Apôtre. (La loi spirituelle, 191-193, p. 26)

Puis il averti :

La pratique des commandements n’est pas la vertu, même si elles tirent l’une de l’autre l’origine de leurs bienfaits.
La pratique des commandements consiste à faire ce qui est prescrit, la vertu, dans la conformité de l’acte avec la vérité. (La loi spirituelle, 194-195)

Et encore :

Il est des commandements qui s’adressent à certains et d’autres qui s’adressent à tous. Il est prescrit à certains de partager avec celui qui n’a pas, à d’autres il est prescrit de renoncer à tous leurs biens.
Il est une opération de la grâce que méconnaissent les débutants, et une autre de la malice qu’ils confondent avec la vérité. Il est bon de ne pas trop scruter de telles choses à cause de l’erreur possible qu’elles contiennent, ni, cependant, de les condamner, à cause de la vérité ; mais il faut s’en remettre en tout à Dieu dans l’espérance. Lui sais en effet l’utilité des deux.

Celui qui veut traverser la mer spirituelle doit avoir de la patience, de l’humilité, la pratique des la veille et la tempérance. S’il s’acharne à vouloir passer dans ces quatre vertus, il troublera son cœur sans réussir à traverser.

Méthode de lutte contre les trois géants : oubli, ignorance, négligence

Dans la lettre à Nicolas, Marc le Moine attire l’attention sur une triade de géants du Mauvais :

« […] l’ignorance, la mère de tous les maux, l’oubli, sa sœur, son associée et son auxiliaire, la négligence, qui tisse dans l’âme un vêtement et un voile ténébreux de nuages noirs ; elle affermit et fortifie les deux autres, leur fourni leur consistance en introduisant le mal à l’état endémique et en enracinant dans l’âme particulièrement insouciante. Le reste des passions croît et se fortifie grâce à la négligence, l’oubli et l’ignorance. Elles s’appuient mutuellement et ne peuvent tenir les unes sans les autres. La puissance des forces ennemies se manifeste par elles, ainsi que la vigueur des princes du Mauvais […] » (Lettre à Nicolas, 1049 A, p. 147)

Alors, Marc se propose à Nicolas de lui montrer « une méthode merveilleuse et une pensée spirituelle qui ne requiert ni fatigue corporelle ni combat, mais se sert de la peine que se donne l’âme, d’un intellect et d’une disposition d’esprit attentive à elle-même pour produire la crainte et l’amour de Dieu » pour « aisément mettre en fuite la phalange ces ennemis » (Lettre à Nicolas, 1048 D, p. 147).

Et cette méthode consiste à poursuivre la trace les trois géants mentionnés, dès qu’ils s’insinuent dans l’âme, et de les frapper par les armes de justice correspondantes :

  • le souvenir bon et excellent selon Dieu, supputant tout ce qu’il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d’aimable, d’honorable, tout ce qu’il peut avoir de bon dans la vertu et la louange humaine
  • la science illuminée qui tient l’âme éveillée et lui fait chasser d’elle-même la ténèbre de l’ignorance
  • un désir plein de vertu et de beauté, qui chasse la négligence impie qui enracine le mal dans l’âme

« Tu acquerras ces vertus, non par l’effort de la simple et seule volonté, mais grâce à la puissance de Dieu et à la synergie de l’Esprit-Saint, jointes à une attention sans défaillance et à la prière. » (Lettre à Nicolas, p. 148)


4. Fin de l’ignorance

Je tiens de terminer avec ces paroles, car durant la Divine Liturgie, dans les prières dites sécrètes, le prêtre invoque au moins deux fois la miséricorde de Dieu pour « l’ignorance du people ». « Peuple », laos (gr.), sommes nous tous, clercs et non clercs, le peuple de Dieu. Nous, prêtres, ne sommes pas des gnostiques, ceux qui savent. Chacun de nous se trouve ignorant devant le mystère de Dieu. Et chacun de nous peut retracer en lui-même le chemin des Pères, ce que j’ai essayé de faire, un peu en désordre.


12 mars 2005 (Paris) / 9 avril 2006 (Lyon)